Une réflexion controversée sur l’art

Depuis que j’ai entrepris de défendre l’IA comme une nouvelle expression de l’art au même titre que la photographie, je me suis mis à questionner ce qu’est l’art.

Je ne prétends pas faire une analyse complexe et fouillée du sujet. Je souhaite davantage susciter le débat avec une once de provocation. La sacralisation de la culture, de manière générale, la rend souvent intouchable. Qui oserait la questionner risque d’être traité d’ignorant, d’inculte. Pourtant, il y a souvent de quoi s’interroger sur ce que les anciens et les modernes ont sacralisé.

Voilà ce que l’on pouvait lire dans le magazine français Marianne en 2023

Pour la dernière édition de l’émission « La Grande Librairie » le 31 mai dernier sur France 5, le présentateur Augustin Trapenard avait promis de l’impertinence. On a été servis, entre un Mathias Enard se demandant comment on pouvait encore lire « Le Rouge et le Noir » au lycée et un Philippe Besson se bornant à qualifier de « malaisant » « La Métamorphose » de Kafka.
https://www.marianne.net/agora/humeurs/kafka-cest-malaisant-critique-de-haute-volee-et-subversion-recuite-a-la-grande-librairie

Ces classiques se sont imposés parce qu’une certaine élite l’a imposé et en ont fait des classiques que l’on ne peut réfuter et encore moins critiquer. On a même l’obligation de les lire. Il faut se montrer au niveau de ce que l’on attend d’une personne cultivée. Apprendre à connaître les auteurs du passé, connaître leurs œuvres et mesurer leur rôle dans l’histoire d’une époque est louable, mais les sacraliser au point de forcer des jeunes de 12 ans à ingurgiter une littérature d’un autre temps est bien autre chose. Alexandre Dumas mérite bien plus sa place que Balzac à l’école. La jeunesse a besoin de rêves et d’aventures que réfléchir sur les travers de la bourgeoisie du XIXe siècle alors que déjà ils sont confrontés aux perversités d’une époque qui cherche à en faire des adultes avant l’âge.

L’art a été d’abord un moyen d’expression puis de représentation d’une époque, mais aussi un moyen de promotion pour les puissants. L’art a été une représentation de la réalité fantasmée ou réelle. L’esthétisme n’a pas été le même selon les époques et les peintres ont parfois suscité la controverse comme le grand Jean-Auguste-Dominique Ingres.

Voilà ce qu’écrit Gritta von Troll en 2022 dans le journal Barnebys

Souvent mal traité par la critique, Jean-Auguste-Dominique Ingres a livré des œuvres trop rigides pour les esprits libres et des corps trop déformés pour les académiques. Amoureux des lignes classiques, ce maître néo-classique est néanmoins considéré comme un pionnier en matière d’expression artistique.

https://www.barnebys.fr/blog/jean-auguste-dominique-ingres-et-le-pouvoir-du-classicisme

De tout temps, l’art comme la littérature est sujet à la critique entre ce qui cherche à préserver un certain dogme et ce qui souhaite s’en libérer et en proposer un autre. Cette dualité, souvent élitiste, est le combat d’une intelligentsia dont le vainqueur finit par imposer son point de vue au reste de la société et ainsi naissent des courants.

Mais avant de poursuivre, attardons-nous sur Ingres, car l’IA à certains égards fait renaître les travers de ce grand peintre en donnant au personnage des formes parfois exagérées ou inappropriées que les puristes s’empressent de critiquer alors qu’Ingres jouait déjà de ces exagérations. Il suffit de penser à l’odalisque. Comme le fait remarquer Gritta von Trol. L’odalisque est dotée de trois vertèbres supplémentaires, tandis que sa jambe gauche présente un angle peu naturel. Mais ces déformations sont volontaires, car Ingres avoue qu’il préfère sacrifier la vraisemblance à sa vision de la beauté. Ce que dit Ingres est crucial. Ce qui compte, c’est la beauté. Le beau même s’il est subjectif est ce qui compte surtout dans une époque où l’on a parfois tendance à ériger la laideur comme de l’art comme cela a été le cas dans les années 1970 pour l’architecture.

On peut se demander si l’arrivée de la photographie n’a pas été à l’origine d’un changement majeur dans la peinture. La photographie a pris la place qu’elle occupait en représentant le réel d’abord avec des portraits puis avec la photographie de lieux. La peinture avait la nécessité de se démarquer, ce qui a fait naître de nouveaux courants et de nouvelles façons de s’exprimer. La peinture s’est petit à petit éloignée du réel pour tomber dans l’abstraction, laissant la place à la photographie qui est devenue ce que fut hier la peinture. Mais l’abstraction ne suffit pas si celle-ci n’est pas accompagnée d’un discours philosophique, d’un courant de pensée pour justifier ce qui peut paraître parfois injustifiable. Une fois encore, on a intellectualisé l’art. L’art n’est plus considéré comme l’unique expression d’un peintre, mais l’expression d’un courant de pensée. L’art est devenu en même temps en enjeu commercial. On est en droit de se demander si l’on peut questionner les œuvres de Soulages, de Klein ou même de Picasso. Ai-je droit de trouver cela laid et m’y refuser de considérer à certains égards cela comme des œuvres de premier plan ? Pourquoi me le reprocherait-on ? La condescendance voudrait me traiter d’inculte, voire d’abruti. Le prêt à penser fait que les abrutis sont ceux qui louangent des œuvres en utilisant un vocabulaire prémaché par ceux qui ont intellectualisé l’art de la même manière que ceux qui ont intellectualisé le vin. Laissez croire qu’une toile d’un bleu, soit-il éclatant, puisse évoquer autant d’émotion pour payer des millions pour l’acheter me paraît absurde. Ceci est aussi la dérive des années 1960 où toute une génération a redéfini les règles de la société et a imposé une nouvelle façon de penser qui encore imprègne les esprits pour ne pas dire qu’elle pollue les esprits. Car à bien des égards, le temps est venu de tourner la page sur toute une époque. D’ailleurs, notre monde se cherche une voie sans la trouver, car on est encore prisonnier à la fois de pensée d’hier et des idéologues d’aujourd’hui.

Pour en revenir à l’art, il devient de plus en plus important de se démarquer. L’abstraction reste encore et trop souvent la clef jusqu’à l’absurde. On en arriverait aujourd’hui à peindre avec des excréments pour marquer une forme d’écologisme et évoquer le recyclage en prétendant que c’est l’expression des humeurs de l’artiste à travers les rejets de son intestin son deuxième cerveau. Vous pensez que j’exagère ou je fais de la caricature. Vous avez la mémoire courte. Rappelez-vous cette robe faite de viande et exposée au musée. L’arrivée de l’IA va-t-elle changer les choses et faire renaître le beau et redonner à l’art figuratif ces lettres de noblesse. C’est ce que je crois ou du moins que je souhaite. Même l’abstraction pourrait trouver avec l’IA un vent de fraîcheur et inviter à nouveau à rêver. Personne ne mesure l’impact qu’aura l’IA. Le monde artistique est en effervescence au lieu de s’emparer de cet outil. De quoi ont-ils peur ces artistes ? Craignent-ils de voir le discours qui accompagne leur art s’effondrer au profit du beau, de la richesse des émotions ? Craignent-ils de voir le public profiter tout simplement de l’œuvre sans avoir besoin de discourir autour de la création et de se contorsionner intellectuellement pour lui faire dire que ce que le peintre n’a sans doute jamais pensé ou qu’il a pensé pour mieux vendre ce qui n’aurait pu être vendu ?

Le temps du réveil est venu. Décloisonnons nos pensées. Apprenons à penser contre soi-même comme dirait le jeune philosophe Nathan Devers ? Osons l’IA et dessinons l’avenir.